Fulgurances (Instantanés de la conscience)
(Capitaine Murakami,Chine 1942 – 1945)
Le courant limpide
Lave ma sueur,
Bière, mousse, saveur…
Combat d’automne
Le visage du général
Rayonne
Le soleil s’en va,
Aucun message de Canton,
Les insectes chantent sur tous les tons.
Du haut du ciel, le soleil d’automne,
Ordonne :
Ecrasez donc ces hordes !
Pleine lune,
Sur fond de montagnes et de vallées,
La colonne des chevaux
Marchons, courons,
Saisissons
La crête du nuage d’été
Bref repos,
Couchés, on contemple
Les nuages de l’été
Pleine lune,
Cadavres d’ennemis
Hallali !
Marcher
Marcher,
Ecraser les insectes.
Ciel d’automne,
Le vert, le vert,
Les tuiles !
Les orchidées bourgeonnent
Sur le ville de Shikaï
L’étendard du Soleil Levant
Frémit au vent.
« La grande bataille met le destin de notre Empire en jeu » J’entends ces mots, toujours la même idée. Pour cela, plusieurs centaines de milliers d’hommes s’avancent en silence, comme si nous poursuivions l’ombre de la pleine lune qui brille sur nos têtes. La longue colonne de chevaux défile sans interruption. Personne ne pense plus au but, ni à la signification de cette opération. Simplement, nous avançons, sans une idée dans nos têtes sur les avions qui nous attaqueront dès le lever du soleil, ni sur l’ennemi que nous devrons anéantir. Un peu d’ait passe sur mes joues. Je m’aperçois que c’est déjà l’automne dans cette région subtropicale.
Sur la ville de Shikaï
Parmi les orchidées,
Le vert resplendit.
Dans le courant limpide,
Puissante,
L’haleine de mon cheval
Le sable
Pompe ma sueur.
Torpeur
Départ sous le ciel noir.
La rosée
Imprègne mes godillots
On marche au bord de la corniche
En bas
Croupit la ruisseau
Un cheval
Tombe de la crête :
Petit bois sous l’été
On se lave le corps
On poursuit
Les poissons de la rivière.
La brume stagne
Sentiment d’éternité
L’avion d’appui tourne très haut au-dessus de nos têtes
Sur le monde effondré,
Le soleil d’automne
Se couche.
Crépuscule d’automne,
Fumée de la popote,
Mince filet.
On pousse le cheval dans la boue
La sueur
Ruisselle
L’étoile filante caresse le couchant
La ville de Goshu
Tombe !
Les gorges de Koseï, profondes
Rougissent les feuilles.
Souffle subtil de nostalgie
Champs de garance,
Village de montagne
Bleu profond
A la lumière de la lune,
Les fusées éclairantes tournoient.
A ma gauche, à ma droite.
Un croissant de lune,
Les fusées éclairantes et :
Les avions.
Sous le ciel d’automne
Coule le fleuve large
A ras bord.
Cheval et homme ensemble ont nagé et passé l’eau
Sur le rive, on lève les yeux au ciel
D’où jaillissent les avions hostiles
On va voir la ville de Goshu !
Sous le ciel d’automne,
On fait claquer le fouet.
Goshu, Tanchichu tombent
Clarté
Du firmament
Le fleuve roule
Flots abondants
Ville en ruine.
Fleuve d’automne
La ville en ruine
S’endort.
Je pique une fleur dans un vase
Bruit d’un avion
En piqué.
Les rayons du soleil automnal
Enveloppent
La longue file des soldats
Mon cher subordonné est mort,
A Ryokaku.
Les insectes chantent.
Les branches sont lourdes de pamplemousses,
Un brin de repos
Dans un village vide.
Les kakis sont mûrs.
Aujourd’hui encore
On passe un village désert.
Sous le ciel obscur,
Nous marchons, marchons, marchons,
Vers le vaste occident.
Mes chers subordonnés sont partis les premiers.
L’averse d’automne
S’abat.
A parler ensemble de nos peines
Nous passons
Toute la nuit.
La conversation
Se ranime
Au clair de lune
On marche de nuit
Le froid animal
Pénètre nos corps.
On marche sous la lune
Des cadavres gisent
Çà et là
Au bruit des insectes
On s’empresse
De lacer ses chaussures.
Un chien qui hurle
Et la lune nous poursuivent.
Les soldats traversent la rivière.
Malgré la fatigue du corps,
Nous courons
Jour et nuit
Ca va être une grande bataille.
Soldats
Accomplissons d’insignes exploits !
Retenant mon souffle
Je vois la balle
Traverser le pamplemousse.
Un cœur ferme, et pour nos vies,
Un grand dessein :
La grande Asie !
Le grand fleuve d’automne,
Recèle, tristement,
L’Histoire.
Le bruit des insectes
Imprègne la valée.
Odeur forte des cadavres.
Multitude des cadavres d’hommes et de chevaux.
Profondeur de la vallée et des montagnes.
On entre dedans, on n’y voit pas à trois centimètres.
Plus de mille mètres d’altitude.
Partout des traces de balles.
On marche, on marche mais toujours les montagnes.
Combien de fois les chevaux sont tombés au fond du précipice.
Froid glacial
Pas de feu, pas de lumière.
Froid de la nuit passée au bout du monde
Première expérience de ma vie
Je dois très souvent remonter le moral de mes hommes.
Pas de fin à cette marche,
Le froid automnal
Hennissement assourdissant du cheval
On ‘assoit autour du maigre feu,
Chant des insectes.
Sans un mot,
On ramasse les susuki
Pour le feu
Sous le ciel d’automne,
D’étranges rochers hérissent l’horizon
Pluies d’automne,
Suivre simplement les traces des sabots des chevaux.
Minuit d’automne,
On fait le compte des batailles livrées.
Le sergent Miyazawa est mort.
Au souvenir de sa silhouette
La galaxie s’enflamme.
Tu es parti comme s’éteindrait une nouvelle lune.
Tu étais un garçon courageux.
Tu as traversé mille et mille kilomètres
D’un pas ferme.
Tu étais un cœur pur,
Tu passais les chemins de campagne
Fleurissant les cadavres ennemis.
Le soleil d’automne se consume.
On a reçu le rescrit impérial
Sous le ciel d’automne,
Nous poursuivons l’ennemi.
Joie, aujourd’hui, d’avoir reçu le rescrit impérial.
On pose les fils téléphoniques toute la nuit
Pour la tranquillité
De Sa Majesté.
La boue, projetée par les balles, gèle.
On resserre le casque
Dans la bise de l’hiver,
La voix du blessé
Est de glace.
Dans la grotte,
On fait du feu
On s’endort.
Retrouvailles avec le sous-lieutenant Yoshikawa
Sous l’ombre verte de la montagne de l’Est, à Canton
Au mois de Mai, sous les lilas en fleur
J’ai vidé la coupe des adieux avec toi
Tu ressembles maintenant, avec ta barbe, au Chinois Kangu
A te revoir, mes yeux s’allument encore, mon vieux camarade.
Je ne pensais pas te revoir ici, au bout du monde,
Prends cette coupe !
Repartons à nouveau vers les champs de bataille !
Adieu ! Adieu !